Les sommets du G7 en Bavière et de l’Otan à Madrid devaient annoncer la punition par l’Occident du Kremlin pour son « opération militaire spéciale en Ukraine ». Mais, si l’image donnée a mis en avant celle de l’unité des Occidentaux, la réalité atteste de leur déconnexion des réalités, de leur perte d’audience dans le monde et en définitive de la fin de leur suprématie.
Alors que les Occidentaux se persuadent que l’enjeu est en Ukraine, le monde le voit affronter le « piège de Thucydide » [1]. Les relations internationales continueront-elles à s’organiser autour d’eux ou deviendront-elles multipolaires ? Les peuples jusqu’ici soumis s’affranchiront-ils et accéderont-ils à la souveraineté ? Sera-t-il possible de penser autrement qu’en termes de domination globale et de se consacrer au développement de chacun ?
Les Occidentaux ont imaginé un narratif de l’« opération militaire spéciale » russe en Ukraine qui fait l’impasse sur leur propre action depuis la dissolution de l’Union soviétique. Ils ont oublié leur signature de la Charte de la Sécurité européenne (dite aussi déclaration d’Istanbul de l’OSCE) et la manière dont ils l’ont violée en faisant adhérer un à un presque tous les anciens membres du Pacte de Varsovie et une partie des nouveaux États post-soviétiques. Ils ont oublié la manière dont ils ont changé le gouvernement ukrainien en 2004 et le coup d’État par lequel ils ont placé au pouvoir à Kiev des nationalistes bandéristes en 2014. Ayant fait du passé table rase, ils accusent la Russie de tous les maux. Ils refusent de remettre en question leurs propres actes et considèrent, qu’à l’époque, ils sont passés en force. Pour eux, leurs victoires font le Droit.
Pour préserver ce narratif imaginaire, ils ont déjà fait taire les médias russes chez eux. On a beau se prétendre « démocrates », il vaut mieux censurer les voix discordantes avant de mentir.
Ils abordent donc le conflit ukrainien, sans contradiction, en se convaincant qu’ils ont le devoir de juger seuls, de condamner et de sanctionner la Russie. En faisant chanter de petits États, ils sont parvenus à obtenir un texte de l’Assemblée générale des Nations-unies qui semble leur donner raison. Ils envisagent maintenant de démanteler la Russie comme ils l’ont fait en Yougoslavie et ont tenté de le faire en Iraq, en Libye, en Syrie et au Yémen (stratégie Rumsfeld/Cebrowski).
Pour ce faire, ils ont commencé à isoler la Russie de la Finance et du Commerce mondial. Ils ont coupé son accès au système SWIFT et aux Lloyds, l’empêchant d’acheter et de vendre tout autant que d’assurer son transfert de marchandise. Ils pensaient ainsi provoquer son effondrement économique. De fait, le 27 juin 2022, la Russie s’est avérée incapable d’honorer une dette de 100 millions de dollars et l’agence de notation Mody’s l’a déclarée en défaut de paiement [2].
Mais cela n’a pas eu l’effet escompté : tout le monde sait que les réserves de la Banque centrale russe regorgent de devises et d’or. Le Kremlin a payé les 100 millions, mais n’a pas pu les transférer en Occident du fait des sanctions occidentales. Il les a placés sur un compte bloqué où ils attendent leurs débiteurs.
Pendant ce temps, le Kremlin qui n’est plus payé par les Occidentaux s’est mis à vendre sa production, notamment ses hydrocarbures, à d’autres acheteurs, particulièrement à la Chine. Les échanges ne pouvant plus être effectués en dollars le sont en d’autres monnaies. Par conséquent, les dollars que leurs clients utilisaient d’habitude refluent vers les États-Unis. Ce processus avait déjà commencé il y a plusieurs années. Mais les sanctions unilatérales occidentales l’ont brutalement accéléré. L’énorme quantité de dollars qui s’accumule aux USA y provoque une hausse des prix massives. La Réserve fédérale fait tout son possible pour la partager avec la zone euro. La hausse des prix se propage à grande vitesse sur tout le continent ouest-européen.
La Banque centrale européenne n’est pas un organisme de développement économique. Sa mission principale est de gérer l’inflation à l’intérieur de l’Union. Constatant qu’elle ne peut absolument pas ralentir la brusque hausse des prix, elle tente de l’utiliser pour diminuer sa dette. Les États membres de l’Union sont donc invités à compenser, par des baisses d’impôts et des allocations, la baisse du pouvoir d’achat de leurs « citoyens ». Mais c’est un cercle sans fin : en aidant leurs citoyens, ils se lient les pieds et les mains à la Banque centrale européenne, ils s’enchaînent un peu plus aux dettes US et s’appauvrissent encore.
Il n’y a pas de remède à cette inflation. C’est la première fois en effet que l’Occident doit éponger les dollars que Washington a imprimé avec insouciance durant des années. La hausse des prix en Occident correspond au coût des dépenses impériales des trente dernières années. C’est aujourd’hui et aujourd’hui seulement que l’Occident paye ses guerres de Yougoslavie, d’Afghanistan, d’Iraq, de Libye, de Syrie et du Yémen.
Jusqu’à présent les États-Unis tuaient tous ceux qui menaçaient la suprématie du dollar. Ils ont pendu le président Saddam Hussein qui la refusait et ont pillé la Banque centrale iraquienne. Ils ont torturé et lynché le guide Mouamar el-Kadhafi qui préparait une nouvelle monnaie panafricaine et ont pillé la Banque centrale libyenne. Les sommes gigantesques amassées par ces États pétroliers ont disparu sans laisser de traces. On a seulement vu des GI’s embarquer des dizaines de milliards de dollars emballés dans de grands sacs-poubelles. En excluant la Russie des échanges en dollar, Washington a lui-même provoqué ce qu’il redoutait tant : le dollar n’est plus la monnaie de référence internationale.
La majorité du reste du monde n’est pas aveugle. Elle a bien compris ce qui se passe et s’est précipitée au Forum économique de Saint-Pétersbourg, puis a tenté de s’inscrire au sommet virtuel des Brics. Elle réalise —un peu tard— que la Russie a lancé le « Partenariat de l’Eurasie élargie », en 2016 et que son ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, l’avait solennellement annoncé à l’Assemblée générale de l’Onu, en septembre 2018 [3]. Durant quatre ans, quantités de routes et de chemins de fer ont été construits pour intégrer la Russie dans les réseaux des nouvelles « routes de la soie », terrestres et maritimes, imaginés par la Chine. Il a donc été possible de déplacer en quelques mois les flux de marchandise.
Le reflux des dollars et le déplacement des flux de marchandise provoquent une hausse plus marquée encore du prix des énergies. La Russie, qui est l’un des premiers exportateurs d’hydrocarbures au monde, a vu ses revenus augmenter considérablement. Sa monnaie, le rouble, ne s’est jamais aussi bien portée. Pour y faire face, le G7 a fixé un prix plafond du gaz et du pétrole russe. Il a ordonné à la « communauté internationale » de ne pas payer plus cher.
Mais la Russie ne va évidemment pas laisser les Occidentaux fixer les prix de ses produits. Ceux qui ne veulent pas les payer aux prix du marché ne pourront pas les acheter et aucun client n’a l’intention de se priver pour faire plaisir aux Occidentaux.
Le G7 tente d’organiser, au moins au plan intellectuel, sa suprématie [4]. Cela ne fonctionne plus. Le vent a tourné. Les quatre siècles de domination occidentale sont terminés.
En désespoir de cause, le G7 a prit l’engagement de résoudre la crise alimentaire mondiale que sa politique a provoqué. Les pays concernés savent ce que les engagements du G7 veulent dire. Ils attendent toujours le grand plan de développement de l’Afrique et autres miroirs aux alouettes. Ils savent que les Occidentaux ne peuvent pas produire les engrais azotés et qu’ils empêchent la Russie de vendre les leurs. Les aides du G7 sont uniquement des pansements sur des jambes de bois chargés de les faire patienter et de ne pas remettre en question les principes sacrés du libre-échange.
La seule option possible pour le sauvetage de la domination occidentale, c’est la guerre. Il faut que l’Otan parvienne à détruire militairement la Russie comme jadis Rome avait rasé Carthage. mais c’est trop tard : l’armée russe dispose d’armes bien plus sophistiquées que l’Occident. Elle les a déjà expérimentées depuis 2014 en Syrie. Elle peut à tout instant écraser ses ennemis. Le président Vladimir Poutine a exposé devant ses parlementaires, en 2018, les progrès stupéfiants de son arsenal [5].
Le sommet de l’Otan de Madrid était une belle opération de communication [6]. Mais ce n’était que le chant du cygne. Les 32 États membres ont proclamé leur unité avec le désespoir de ceux qui craignent de mourir. Comme si de rien n’était, ils ont d’abord adopté une stratégie pour dominer le monde durant les dix prochaines années, désignant la « croissance » de la Chine comme un sujet de préoccupation [7]. Ce faisant ils ont admis que leur but n’est pas d’assurer leur sécurité, mais bien de dominer le monde. Ils ont alors ouvert le processus d’adhésion de la Suède et de la Finlande et envisagé de s’approcher de la Chine avec, pour commencer, une possible adhésion du Japon.
Le seul incident, rapidement maîtrisé, aura été la pression turque qui a contraint la Finlande et la Suède à condamner le PKK [8]. Incapables de résister, les États-Unis ont lâché leurs alliés, les mercenaires kurdes en Syrie et leurs leaders à l’étranger.
Sur ce, ils ont décidé de multiplier par 7,5 la Force d’action rapide de l’Otan, en la faisant passer de 40 000 à 300 000 hommes, et de la stationner à la frontière russe. Ce faisant ils ont violé une fois de plus leur propre signature, celle de la Charte de la Sécurité en Europe, en menaçant directement la Russie. En effet, celle-ci n’a pas la possibilité de défendre ses immenses frontières et ne peut assurer sa sécurité qu’en veillant à ce qu’aucune force étrangère n’installe de base militaire à ses frontières (stratégie de la terre brûlée). D’ores et déjà, le Pentagone fait circuler des cartes prospectives du démantèlement de la Russie qu’il espère mettre en œuvre.
L’ancien ambassadeur russe à l’Otan et actuel directeur de Roscosmos, Dmitry Rogozin, leur a répondu en publiant sur son compte Telegram les coordonnées de tir des centres de décisions de l’Otan, salle du sommet de Madrid comprise [9]. La Russie dispose de lanceurs hypersoniques, pour le moment impossibles à intercepter, qui peuvent porter une charge nucléaire en quelques minutes sur le siège de l’Otan à Bruxelles et sur le Pentagone à Washington. Pour qu’il n’y ait pas de méprise, Sergueï Lavrov a précisé, faisant allusion aux Straussiens, que les décisions martiales de l’Occident n’étaient pas prises par les militaires, mais au département d’État US. C’est lui qui serait la première cible.
La question est donc : les Occidentaux joueront-ils le tout pour le tout. Prendront-ils le risque d’une Troisième Guerre mondiale pourtant déjà perdue, juste pour ne pas mourir seuls ?
https://www.voltairenet.org/article217542.html
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