Mohammed ben Zayed a tenté de pousser Assad à rompre le cessez-le-feu à Idleb
David Hearst- Le plan du prince héritier émirati visant à enliser la Turquie en Syrie afin de l’éloigner de la bataille pour Tripoli a été réduit à néant par la Russie, selon des sources de MEE
Mohammed ben Zayed (MBZ), prince héritier d’Abou Dabi, tente énergiquement et obstinément d’amener le président syrien Bachar al-Assad à rompre un cessez-le-feu conclu avec les forces de l’opposition soutenues par la Turquie dans la province d’Idleb, a appris Middle East Eye.
Ces derniers mois, les forces d’Assad soutenues par la puissance aérienne russe ont fait des gains significatifs contre les groupes rebelles à Idleb, dans le nord-ouest de la Syrie, tuant des centaines de personnes et forçant au passage un million de civils à fuir vers la frontière turque.
L’armée turque est intervenue en février, aidant à équilibrer le conflit jusqu’à ce qu’une trêve négociée par Moscou mette fin aux violences le mois dernier.
Cependant, MBZ a non seulement tenté d’empêcher la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu entre le président russe Vladimir Poutine et le président turc Recep Tayyip Erdoğan, mais a depuis appelé Assad pour l’encourager à relancer son offensive, a appris MEE.
Quelques jours avant la signature de l’accord de cessez-le-feu lors d’une réunion de quatre heures et demie au Kremlin le 5 mars, le prince héritier a envoyé Ali al-Shamsi, l’adjoint de son frère et conseiller à la sécurité nationale Tahnoun ben Zayed, pour négocier un accord avec Assad à Damas.
Selon des sources au courant du plan de MBZ, le prince héritier a accepté de verser 3 milliards de dollars à Assad pour relancer l’offensive contre Idleb, dernier bastion des rebelles. Le premier milliard de dollars devait être versé avant la fin du mois de mars. Au moment de l’annonce du cessez-le-feu, une avance de 250 millions de dollars avait déjà été versée.
L’accord a été négocié dans le plus grand secret. Abou Dabi se souciait particulièrement du fait que les Américains n’en entendent pas parler. Washington a soutenu les efforts de l’armée turque pour affronter les forces d’Assad à Idleb, et avait déjà exprimé sa colère à l’encontre du prince héritier émirati au sujet de la libération de 700 millions de dollars d’avoirs iraniens gelés en octobre.
Une source haut placée a déclaré à MEE : « Pendant les affrontements d’Idleb, al-Shamsi a rencontré Bachar et lui a demandé de ne pas parvenir à un accord avec Erdoğan sur un cessez-le-feu. Cela s’est produit juste avant la rencontre d’Erdoğan avec Poutine. Assad a répondu qu’il avait besoin d’un soutien financier.
« Il [Assad] a dit que l’Iran avait cessé de payer parce qu’il n’avait pas d’argent, et que les Russes ne payaient pas de toute façon. Il a donc demandé 5 milliards de dollars de soutien direct à la Syrie. Ils se sont mis d’accord sur 3 milliards de dollars, dont 1 milliard versé avant la fin du mois de mars », a ajouté la source.
Quand Bachar al-Assad a commencé à reconstruire ses forces pour une offensive contre les positions turques à Idleb, les Russes, qui surveillent de près les mouvements militaires sur le terrain en Syrie, ont eu vent de ce plan.
« Poutine était furieux », a poursuivi la source.
Poutine a envoyé son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, lors d’une visite imprévue à Damas pour empêcher le gouvernement syrien de relancer l’offensive.
« Le message que Choïgou a livré était clair : “Nous ne voulons pas que vous repreniez cette offensive. La Russie veut que le cessez-le-feu perdure.” À ce moment-là, les Émiratis avaient déjà versé 250 millions de dollars à Damas », a déclaré cette source.
Un haut responsable turc a confirmé que les Émirats arabes unis avaient fait une offre de ce genre au gouvernement syrien. « Tout ce que je peux dire, c’est que le contenu du rapport est vrai », a déclaré ce responsable.
Middle East Eye a sollicité une réaction des autorités émiraties.
Les yeux tournés vers Tripoli
Des sources ont déclaré à Middle East Eye que MBZ avait persisté dans ses tentatives pour obtenir d’Assad qu’il rompe le cessez-le-feu, même après la visite de Choïgou. Une deuxième tranche du premier milliard de dollars a été versée à Damas.
Les motifs du prince héritier concernant le fait de payer Assad pour qu’il relance son offensive étaient doubles.
Tout d’abord, Abou Dabi voulait impliquer l’armée turque dans une guerre coûteuse dans le nord-ouest de la Syrie. La Turquie venait de lancer sa quatrième offensive dans le pays, après que les troupes gouvernementales syriennes eurent tué 34 soldats turcs le 27 février, jour le plus meurtrier pour Ankara en neuf ans de conflit.
Ensuite, MBZ a voulu étirer les ressources de l’armée turque et empêcher Erdoğan de défendre avec succès Tripoli contre les forces de Khalifa Haftar en Libye, où Ankara est récemment venu en aide au Gouvernement d’union nationale (GNA) reconnu par l’ONU.
Dès que le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a réduit à néant les tentatives émiraties de rompre le cessez-le-feu, MBZ s’est inquiété de voir ce plan divulgué aux Américains. Il avait besoin d’une couverture pour l’argent qu’il avait déjà versé à Damas et voulait aussi continuer à persuader le gouvernement syrien de rompre le cessez-le-feu. Le prince héritier a appelé le président à Damas.
« Les EAU [Émirats arabes unis] n’ont pas prévenu les Américains. Donc, avec tout cela, les EAU s’inquiétaient particulièrement que ces informations sortent, surtout après l’agitation suscitée par le dégel des actifs iraniens. C’est la raison pour laquelle MBZ a appelé Assad », a déclaré la source haut placée.
Des informations ont ensuite été publiées au sujet de la conversation entre les deux dirigeants. MBZ a déclaré sur Twitter : « Je l’ai assuré du soutien des EAU et de leur volonté d’aider le peuple syrien. La solidarité humanitaire en période difficile l’emporte sur toute autre considération, et la Syrie et son peuple ne seront pas seuls. »
Le réchauffement des relations entre les Émirats arabes unis et le gouvernement syrien est public depuis un certain temps. Bien que les Émiratis aient soutenu l’opposition lorsque la guerre a éclaté en 2011, l’année dernière, elle a rouvert son ambassade à Damas et les responsables se sont efforcés de parler des relations entre les deux pays en des termes de plus en plus emphatiques.
Cependant, la conversation entre le prince héritier et le président syrien était plus qu’une simple continuation de cette tendance et des soupçons sur la vraie nature de l’appel de MBZ ont surgi en raison de son timing.
MBZ a voulu donner l’impression que son appel était passé en solidarité avec la Syrie face à l’épidémie de coronavirus, mais lorsque les deux dirigeants se sont parlé, Damas niait tout foyer majeur dans le pays.
Selon des sources, le principal motif du prince héritier en cherchant à enliser l’armée turque à Idleb est la situation en Libye.
L’offensive sur Tripoli lancée il y a un an par l’Armée nationale libyenne du général Haftar, avec l’appui des Émirats arabes unis, a été bloquée par le déploiement par Ankara de drones, de troupes turques et de mercenaires syriens.
Cependant pour Poutine, qui soutient également Haftar contre le GNA à Tripoli, l’alliance stratégique de la Russie avec la Turquie a éclipsé toutes les autres considérations. Le maintien d’un cessez-le-feu à Idleb s’est révélé être plus important.
MBZ s’est donc retrouvé dans un pétrin dont il voulait désespérément se dépêtrer, selon la source.
Reportage additionnel de Ragıp Soylu.
Traduit de l’anglais (original)
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