Comment Moqtada al-Sadr voit l’avenir politique de l’Irak
L’objectif premier de Sadr est la renaissance de l’Irak. Pourrait-il utiliser son immense pouvoir pour tenter de libérer le pays de l’ingérence iranienne et apaiser les divisions confessionnelles ?
L’Irak, comme de nombreux pays, est un endroit où les votes sont non seulement comptés, mais pesés et interprétés. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait eu des récriminations retentissantes à la suite des élections du 10 octobre – car un bouleversement politique majeur s’est produit.
La coalition al-Sairoun (En marche) de Moqtada al-Sadr est devenue le principal bloc politique avec 74 sièges, obtenant ainsi le privilège de désigner le prochain Premier ministre.
Le religieux « possède » près de la moitié des 165 députés nécessaires pour obtenir un vote de confiance au Parlement (329 membres) et faire approuver un gouvernement.
Les principaux partis sunnites dirigés par le président du Parlement Mohamed al-Halbousi ont obtenu 34 sièges et l’homme d’affaires Khamis al-Khanjar, 15.
En ce qui concerne les Kurdes, le Parti démocratique kurde (PDK) de Massoud Barzani est passé de 25 à 33 sièges, augmentant ses chances de désigner un nouveau président de la République pour remplacer le président sortant Barham Saleh.
La liste État de droit de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki a gagné des députés (de 25 à 35), devenant une personne d’influence dans le marchandage qui va suivre. Cependant, le plus grand choc a été l’effondrement du parti pro-iranien du bloc Fatah, dirigé par Hadi al-Amiri, qui est passé de 60 à 17 sièges.
Vides politiques
Sans surprise, les partis pro-iraniens ont crié au scandale. Ils ont affirmé que des fraudes avaient eu lieu et organisé des manifestations. Mais il est peu probable que le recomptage en cours modifie considérablement le résultat. Ils doivent accepter un message évident de l’électorat : ce vote est un rejet majeur ou un reproche.
Il n’y a tout simplement pas d’autre façon d’interpréter les chiffres.
Mais c’est une question distincte de la dure réalité du rituel politique irakien qui s’ensuit, la formation d’un gouvernement. Si l’on s’en tient à l’expérience, cela pourrait durer des mois et le résultat pourrait être bien éloigné de la volonté populaire exprimée en octobre.
Les vides politiques créent de l’instabilité, comme l’a montré l’attaque par drone contre la résidence du Premier ministre sortant Moustafa al-Kazimi début novembre. On ne sait toujours pas qui était derrière cette attaque.
Bien que les têtes se tournent vers les milices pro-iraniennes, la plupart d’entre elles dénoncent une attaque « stupide et non calculée », qui a causé beaucoup de tort aux factions chiites elles-mêmes.
Abu Ali al-Askari, commandant des Kataeb Hezbollah, faction armée chiite la plus hostile au Premier ministre, a affirmé qu’aucune des factions ne prendrait la peine de gaspiller un drone sur la maison de Kazimi.
Depuis l’invasion américaine de 2003, la politique irakienne, et en particulier le pouvoir de nommer le Premier ministre, est entre les mains de la communauté chiite et de ses dirigeants, avec des rôles associés joués par des puissances étrangères rivales, les États-Unis et l’Iran.
Sadr suivra-t-il le même scénario ou s’écartera-t-il des règles non écrites de ce système de quotas politiques ?
Le système de quotas a perpétué et sauvegardé les pouvoirs et les privilèges des différents blocs politiques qui le composent, indépendamment des résultats des élections.
Au-delà de son bloc parlementaire, le principal atout politique de Sadr est qu’il est l’héritier de l’une des familles les plus importantes de l’islam chiite – une famille qui fait remonter sa lignée au prophète Mohammed.
Le pouvoir de paralyser la capitale sur un coup de tête
Les Sadr revendiquent un lien direct avec d’éminents intellectuels et une immense influence et prestige en Irak et ailleurs. Ils ont mené la rébellion contre les Britanniques dans les années 1920.
L’imam Musa al-Sadr est devenu le chef spirituel des chiites libanais, contribuant à leur renaissance avant de disparaître mystérieusement en Libye en 1978.
Mohamed Sadiq al-Sadr (le père de Moqtada) et Muhammad Baqir al-Sadr (son oncle) ont été exécutés par Saddam Hussein en 1980 et 1999 respectivement, et tous deux ont exercé depuis leur base de Nadjaf une forte influence parmi les chiites irakiens et même sur la révolution iranienne de 1979.
Moqtada, à l’époque adolescent, a été confiné en résidence surveillée, limitée à une seule pièce, pendant près d’une décennie sur ordre de Saddam.
Un héritage aussi lourd, ainsi que sa résistance armée contre l’occupation américaine de l’Irak entre 2003 et 2008, ont renforcé son crédit politique et lui ont donné le pouvoir d’amener, au pied levé, des millions de partisans dans les rues de Bagdad depuis son bastion de banlieue nord-est de Sadr City.
Sadr, selon ses partisans, a le pouvoir de paralyser la capitale sur un coup de tête, une carte que peu d’autres politiciens irakiens peuvent jouer. Compte tenu de son pouvoir accru après les récentes élections, il est temps de se demander ce que Sadr pense réellement et comment il évalue l’avenir politique de l’Irak.
Des sources fiables à l’intérieur de son équipe nous ont donné quelques aperçus.
Comme ses prédécesseurs, Sadr rejette une présence permanente des troupes américaines en tant que force d’occupation ou de combat. Il est toutefois ouvert à une présence militaire américaine pour former et fournir un soutien logistique à l’armée irakienne, qui dépend néanmoins trop des achats militaires américains, selon lui.
Sadr a une relation longue et complexe avec l’Iran, toute en nuances, difficile à saisir pour les observateurs extérieurs. Lorsqu’il se sent menacé en Irak, Sadr passe fréquemment de longues périodes en Iran.
Il est conscient que les relations entre les deux pays sont désormais indissolubles, mais il est également opposé aux milices pro-iraniennes opérant à l’intérieur de l’Irak et à l’ingérence de Téhéran dans ce qu’il considère comme les affaires intérieures de son propre pays.
Son opposition aux milices pro-iraniennes ne doit pas, soulignent les sources, être confondue avec une opposition aux Hachd al-Chaabi (les Unités de mobilisation populaire ou UMP) car la situation est bien plus complexe.
C’est important parce que l’analyse occidentale – et j’en ai une expérience de première main – a généralement tendance à confondre à tort les UMP et les milices pro-iraniennes.
Coalition avec les partis sunnites
On nous a également dit que Sadr était favorable à un renforcement des relations avec la Russie et la Chine pour aider au développement futur de l’Irak, à condition que cela soit fait dans l’intérêt de l’Irak et sans aucun droit de veto extérieur. Il en va de même pour l’Arabie saoudite.
Il serait également réticent à ce que l’Irak soit entraîné dans la logique et les politiques de l’axe de la résistance, une alliance militaire et politique anti-occidentale, anti-israélienne et anti-saoudienne dirigée par l’Iran avec la participation de la Syrie et du Hezbollah.
Pour Sadr, l’objectif principal est la renaissance de l’Irak et, à cette fin, le pays devrait rester à l’écart des programmes politiques régionaux.
À une question précise demandant si l’Irak devrait adhérer aux accords d’Abraham, normalisant ainsi ses relations avec Israël, la réponse a été résolument négative.
Sadr viserait à créer un agenda national et à libérer l’Irak des politiques d’autres puissances régionales et non régionales qui, depuis vingt ans, règlent leurs comptes sur le sol irakien, donnant la priorité à la reconstruction du pays et rejetant toute ingérence extérieure quelle qu’elle soit.
En ce qui concerne le nouveau gouvernement irakien, les sources de Nadjaf soulignent l’intention de Sadr de se libérer des vetos de la plupart des blocs chiites et de chercher une éventuelle coalition avec les partis sunnites de Halbousi, Khanjar et le PDK de Barzani.
Les sièges de ces trois blocs combinés sont proches du seuil des 165 nécessaires pour remporter un vote de confiance, et l’adhésion de partis mineurs pourrait permettre d’atteindre un tel objectif.
Bien sûr, il reste à voir si d’autres blocs chiites et les personnes d’influence, principalement Maliki et Ameri, consentiraient au plan de Sadr, sans parler des milices pro-iraniennes.
De ce point de vue, l’attaque par drone maladroite contre la maison de Kazimi sert plus de coup de semonce que de menace personnelle directe.
Les conclusions préliminaires à tirer de ce que l’équipe de Sadr a bien voulu partager sont que si le dirigeant irakien réussit dans son plan de former un nouveau gouvernement, ce serait une tentative claire de surmonter les divisions confessionnelles et de promouvoir plus de gouvernance de coalition en Irak.
La coalition que Sadr semble avoir en tête pourrait néanmoins entrer en conflit avec son intention de libérer l’Irak des ingérences extérieures. Une telle position, selon ce raisonnement, serait mise à l’épreuve par l’influence que la Turquie est censée avoir sur les partis Halbousi et Khanjar, et par l’influence des États-Unis et d’Israël sur le PDK de Barzani.
Les semaines à venir en Irak seront tendues. Surtout, il y a forcément un calcul entre les blocs de pouvoir pro-iraniens concurrents en Irak, sinon des intérêts concurrents parmi les Gardiens de la révolution islamique (CGRI).
C’est une période intéressante, et difficile pour Ismael Qaani, le commandant du CGRI.
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