Comprendre les relations internationales (1/2)
En matière de relations internationales, beaucoup de choses sont évidentes et n’ont pas besoin d’être dites. Cependant, elles vont mieux en étant explicitées. Dans ce premier volet, l’auteur traite du sentiment de supériorité que nous avons tous et de nos préjugés inconscients sur la méchanceté de nos interlocuteurs. Dans l’épisode suivant, il traitera des spécificités du Moyen-Orient.
Au cours des nombreux échanges par mail, il est apparu que de nombreuses choses que je tiens pour acquises ne le sont pas pour tous mes lecteurs. Aussi voudrais-je revenir sur certaines idées dont certaines vous paraîtront n’être que des généralités, mais dont d’autres vous surprendront.
Nous sommes tous humains, mais différents
Il est possible de se rendre dans un pays lointain et n’en fréquenter que les hôtels et les plages ensoleillées. C’est bon pour le bronzage, mais c’est humainement une occasion manquée. Ce pays est habité par des gens comme nous, peut-être différents d’aspect, peut-être pas, avec lesquels nous aurions pu échanger. Sûrement nous nous serions liés d’amitié avec certains d’entre eux.
D’une manière générale, le voyageur veillera toujours à disposer de moyens plus importants que ceux des gens du pays qu’il visite de manière à pouvoir faire face à tout problème. Peut-être, dans cette situation confortable, se lancera-t-il alors dans l’inconnu et abordera-t-il quelques personnes. Mais qui va parler librement et confier ses bonheurs et ses angoisses à un riche voyageur ?
Il en est de même dans les relations internationales : il est toujours très difficile de savoir vraiment ce qui se passe à l’étranger et de le comprendre.
Les relations internationales mettent en jeu plusieurs acteurs qui nous sont étrangers. C’est-à-dire des hommes qui ont des traumatismes et des ambitions que nous ne connaissons pas et que devons partager avant de pouvoir les comprendre. Ce qui est important pour eux n’est pas forcément ce qui nous préoccupe. Il y a de bonnes raisons à cela que nous devons découvrir si nous voulons avancer avec eux.
Chacun d’entre nous considère ses valeurs comme qualitativement supérieures à celles des autres jusqu’à ce qu’il ait compris pourquoi ils pensent différemment. Les Grecs disaient des étrangers qu’ils étaient des « barbares ». Tous les peuples, aussi éduqués soient-ils, pensent de même. Cela n’a rien à voir avec du racisme, mais avec de l’ignorance.
Cela ne veut pas dire que toutes les cultures et civilisations sont égales et que vous voudriez vivre n’importe où. Il y a des endroits où les gens ont un regard terne et d’autres où ils sont lumineux.
Le développement des moyens de transports a rendu possible de se rendre n’importe où en quelques heures. Nous sommes projetés d’un instant à l’autre dans un autre monde et nous continuons à penser et à agir comme si nous étions chez nous. Au mieux, nous avons un peu lu sur ces étrangers avant de nous rendre chez eux. Mais avant de les rencontrer, nous ne pouvons pas savoir quels auteurs les ont compris et quels autres sont passés à côté du sujet.
À vrai dire, il n’est pas nécessaire de se rendre dans un pays pour comprendre ses habitants. Eux aussi peuvent voyager. Mais il ne faut pas se tromper d’interlocuteurs : ceux qui prétendent avoir fui leur parents et disent du mal d’eux sont bien plus souvent des menteurs que des héros. Ce ne sont pas forcément de mauvaises gens, ils peuvent aussi nous dire ce qu’ils imaginent nous plaire et, lorsque nous les connaissons mieux, changer leur version. Il faut cependant être très méfiant vis-à-vis des expatriés politiques : ne pas confondre Ahmed Chalabi à Londres avec Charles De Gaulle. Le premier avait fui l’Iraq après une escroquerie et a menti en toutes choses ; le second avait un authentique soutien populaire en France. Le premier a ouvert la porte de son pays aux envahisseurs, le second a délivré son pays des envahisseurs.
Les gens changent avec l’âge. Les peuples aussi, mais ils sont beaucoup plus lents. Ce qui les caractérise s’inscrit dans les siècles. Aussi faut-il longuement étudier leur histoire pour les comprendre, même s’ils ignorent leur passé, comme les musulmans qui considèrent à tort les époques antérieures à la révélation de leur religion comme obscures. Dans tous les cas, il est impossible de comprendre un peuple sans connaître son histoire, non pas sur la dernière décennie, mais sur les millénaires. Il faut être très infatué de soi-même pour croire comprendre une guerre en se rendant sur place sans étudier longuement l’histoire et les motivations des protagonistes.
Ce qui est bon pour connaître les gens est aussi efficace pour les dominer. C’est pourquoi les Britanniques ont formé leurs plus célèbres espions et diplomates au British Museum.
Les « méchants »
Ce que nous ne comprenons pas nous fait souvent peur.
Lorsque, dans un groupe humain, une élite, voire une personne seule, exerce une oppression sur les autres, ses pairs, il ne peut le faire qu’avec leur propre assentiment. C’est ce que l’on observe dans les sectes. Si l’on veut venir en aide à ces opprimés, la solution n’est pas de prendre des sanctions contre leur groupe où d’éliminer leur chef, mais de leur donner de l’air frais, de les aider à prendre conscience qu’ils peuvent vivre autrement.
Les groupes sectaires ne représentent qu’un danger relatif pour le reste du monde parce qu’ils refusent de communiquer avec lui. Ils sont surtout un danger pour eux-mêmes qui peut les conduire à s’autodétruire.
Il n’y a pas de dictature contre une volonté majoritaire. C’est simplement impossible. C’est d’ailleurs l’origine du système démocratique : l’approbation des dirigeants par une majorité prévient toute forme de dictature. Le seul régime qui opprimait la majorité de sa population et que j’ai vécu est l’Union soviétique de Gorbatchev. Celui-ci n’y était pour rien et c’est lui-même qui l’a dissout.
C’est ce principe qu’ont utilisé les États-Unis pour organiser les « révolutions colorées » : aucun régime ne peut survivre si on refuse de lui obéir. Il s’effondre instantanément. Il suffit donc de manipuler les foules un court instant pour changer n’importe quel régime. La suite est évidemment imprévisible lorsque la foule reprend ses esprits. Ces prétendues révolutions ne durent que quelques jours. Elles n’ont aucun rapport avec un changement de société qui, lui, demande des années, voire une génération.
Quoi qu’il en soit, il est toujours facile de décrire un pays lointain comme une abominable dictature et de justifier ainsi que l’on vienne y sauver la population opprimée.
Tous les hommes sont raisonnables. Pourtant, ils peuvent basculer dans la folie lorsqu’ils négligent leur Raison au nom d’une Idéologie ou d’une Religion. Cela n’a aucun rapport ni avec le projet de cette idéologie, ni avec la foi de cette religion. Les nazis espéraient édifier un monde meilleur que celui du Traité de Versailles, mais ils n’avaient pas conscience de leurs crimes. Ils ont disparus et l’on a oublié leurs réalisations (sauf la VolksWagen et la conquête de l’espace par Wernher von Braun). Les islamistes (je parle ici du mouvement politique, pas de la religion musulmane) pensent servir la volonté divine, mais ils n’ont pas conscience de leurs crimes. Ils disparaîtront sans avoir rien réalisé. Ces deux groupes ont en commun leur aveuglement. Ils ont pu être facilement manipulés, les premiers contre les Soviétiques, les seconds par le Royaume-Uni.
Aucune religion n’est à l’abri quelque soit son message. En Inde, Yogi Adityanath (un proche du Premier ministre Narendra Modi) a appelé la foule à détruire la mosquée d’Ayodhya, en1992, et dix ans plus tard ses fidèles ont massacré les musulmans du Gujarat qu’ils accusaient à tort d’avoir voulu prendre leur revanche. Ou au Myanmar, le moine bouddhiste Ashin Wirathu (qui n’a aucun rapport avec l’armée birmane et encore moins avec Aung San Suu Kyi) prêche de tuer les musulmans.
Il n’y a pas de limite à la violence humaine lorsque nous faisons abstraction de notre Raison. Ceux qui la pratiquent sont des artistes : ils ont un style et imaginent des modalités spectaculaires. La cruauté de groupe n’est pas un plaisir sadique solitaire, mais un rituel collectif. Elle glace d’effroi et contraint à se soumettre.
Daesh a mis en scène ses crimes et les a filmées, n’hésitant pas à recourir à des effets spéciaux pour effrayer plus encore.
Il est peu probable que les nazis aient eu l’intention de tuer leurs prisonniers par millions, mais plutôt qu’ils entendaient exploiter leur force de travail sans égard pour leurs vies, car ils ont commis leurs crimes en secret, faisant disparaître leurs victimes dans « la nuit et le brouillard ».
Au contraire, durant la guerre contre les armées blanches, les Bolcheviks décidèrent de faire disparaître les classes sociales favorables au tsarisme. Cela n’avait probablement rien à voir avec leur idéologie, mais avec la guerre civile. Ils se contentèrent donc de les fusiller.
(À suivre…)
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