Durant toute l’année 2011 et le premier semestre 2012, les États-Unis et la Russie discutèrent en secret de leurs projets au Moyen-Orient élargi. Le Pentagone poursuivait la stratégie Rumsfeld/Cebrowski, c’est-à-dire le plan de destruction de toutes les structures étatiques (Afghanistan, Iraq, Libye, Syrie…), mais le président Barack Obama cherchait un moyen de se retirer militairement de la région de manière à pouvoir transférer ses troupes dans l’océan Pacifique, autour de la Chine (« Pivot to Asia »). La Russie, quant à elle, espérait retrouver son influence dans la région en s’appuyant sur la population russophone d’Israël et sur la Syrie.
Nous ne connaissons pas le contenu de ces discussions qui furent difficiles. Une polémique opposa les deux puissances tout au long du mois de juin, chacun accusant l’autre d’être du « mauvais côté de l’Histoire » [1]. Quoi qu’il en soit, Washington et Moscou convoquèrent ensemble une conférence internationale à Genève à propos de la Syrie, mais sans aucun Syrien, le 30 juin 2012. Tous deux, conscients que la guerre en Syrie n’avait rien d’une guerre civile, conclurent un Traité de paix entre eux devant leurs alliés respectifs comme témoins. Tous crurent que, malgré l’inégalité militaire entre les deux protagonistes, un nouveau Yalta, un nouveau partage du monde, avait eu lieu et que ce Traité en était la première manifestation [2].
Or, une semaine plus tard, le président français, François Hollande, organisait à Paris une réunion des « Amis de la Syrie » pour relancer le conflit [3]. Les alliés de l’Otan, en présence et avec la complicité de la secrétaire d’État Hillary Clinton [4], faisaient échouer les négociations Obama-Poutine. Le maître de cérémonie de la conférence de Genève et ancien secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, dénonçait le double jeu d’un des protagonistes et démissionnait avec fracas de sa charge d’envoyé spécial des Nations Unies pour la Syrie, le 2 août. Inquiètes une partie des Non-alignés [5], puis la Chine [6], proposèrent de recoller les morceaux sans y parvenir.
9 ans de guerre suivirent.
En 2020, alors que le Pentagone poursuit avec constance la stratégie Rumsfeld/Cebrowski, le président Donald Trump négocie secrètement non seulement avec ses homologues Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, et avec les deux premiers ministres Benjamin Netanyahu et Benny Gantz, mais probablement avec bien d’autres.
- Le 20 février 2019, le président Poutine révélait devant l’Assemblée fédérale russe, les performances de ses nouvelles armes. La Russie avait récupéré son statut de Grande Puissance.
Contrairement à une idée répandue, les contradictions de la partie US ne sont pas nouvelles puisqu’elles existaient déjà il y a 9 ans, sous Barack Obama. Elles ne sont donc pas dues à Donald Trump, mais à une crise profonde et ancienne des États-Unis que les Occidentaux refusent de considérer. À la différence de son prédécesseur, il ne cherche pas à déplacer ses pions d’une région à l’autre de l’échiquier mondial, mais à ramener ses troupes à la maison. Les exigences russes, quant à elles, ont considérablement augmenté. Moscou s’est investi militairement en Syrie et y a montré la puissance de son industrie militaire renaissante et de sa nouvelle armée. La Russie, jadis en ruine à l’effondrement de l’URSS et au pillage intérieur de Boris Elstine [7], est redevenue une Grande Puissance, en se donnant de la capacité non seulement de se défendre, mais aussi de détruire son rival US ce qu’elle est le seul État au monde à pouvoir envisager. Nous parlons de la gouvernance mondiale, il s’agit bien de rapports de force.
Nous ne savons pas plus qu’en 2011 la teneur des négociations entre la Maison-Blanche et le Kremlin, mais nous pouvons déduire ce qui est en jeu à partir des événements actuels. Soit la guerre qui déchire un à un tous les États de la région se poursuit, soit les Deux Grands se partagent la région en zones distinctes, soit ils la gèrent ensemble. Il est évidemment possible de mixer ces options : appliquer l’une de ces trois formules dans toute la région ou plusieurs selon les pays.
Tout accord doit se fonder sur une analyse réaliste du Grand Moyen-Orient et non pas sur les titres des journaux. Les médias ne rendent pas compte des véritables rapports de force dans la région car ils traitent les conflits comme s’ils étaient distincts les uns des autres ce qui n’est absolument pas le cas. Tout accord ici a des conséquences sur les autres de sorte que la paix pour les uns peut signifier un désastre pour d’autres.
- En juin 2919, un nouveau sommet sur la gouvernance mondiale se réunissait à Jérusalem au niveau des conseillers nationaux de sécurité (ici Nikolaï Patrouchev et John Bolton).
Contrairement à une idée reçue, ni les Palestiniens, ni les Kurdes ne sont aujourd’hui centraux. Ils ont perdu leur cause légitime en prétendant construire des États nationaux en dehors de leurs territoires historiques. Ni les Turcs, ni les Iraniens ne représentent de danger, ils sont toujours prêts à négocier sous la table. Le problème qui fait tout échouer depuis quarante ans est la volonté de certains Anglo-Saxons de poursuivre la colonisation de la région via Israël et la résistance de certains arabes via le Hezbollah libanais. Or, la faction coloniale d’Israël conduite par Benjamin Netayanhu est aujourd’hui en perte de vitesse face à la faction nationaliste conduite par Benny Gantz. D’autre part, le Hezbollah ne peut plus compter sur ses deux parrains : la Syrie qui est très affaiblie et l’Iran qui vient de pactiser avec les Britanniques au Yémen, de s’entendre avec les États-Unis en Iraq et de s’allier militairement aux Frères musulmans en Libye.
Par conséquent, toute solution durable passe à la fois par :
une cogestion d’Israël par les États-Unis et la Russie et par
une gestion du Liban et de la Syrie par la Russie, sous surveillance des États-Unis.
Cette évolution aura lieu tôt ou tard, malgré l’opposition d’une partie des Israéliens, des Libanais et des Syriens, parce qu’elle est la seule qui puisse garantir la sécurité de tous.
D’ores et déjà, la partie russe s’est réorganisée en ce sens. L’ambassadeur russe pour le Levant, Alexandre Zaspikine, se concentre déjà sur le seul Liban où il est en poste, tandis que le nouvel ambassadeur russe à Damas, Alexander Efimov, a acquis la possibilité d’en référer directement au président Poutine sans passer par son ministère, où son prédécesseur en Syrie, Alexander Kinshchak, supervisera la région.
Ce qui se joue aujourd’hui a déjà échoué un très grand nombre de fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais la région a évolué et les Grandes Puissances aussi. Donald Trump est très réaliste tandis que Vladimir Poutine a un sens aigu du Droit international. S’ils parviennent tous deux à rapprocher leurs points de vue sur le Grand Moyen-Orient, cela aura aura immédiatement des conséquences positives en Extrême-Orient.
0 thoughts on “Comment les Deux Grands peuvent établir la paix au Grand Moyen-Orient”