Accord JCPOA : à l’approche des élections, Netanyahou ressort la carte «Iran» pour jouer au héros

Quel paradoxe, les machinations de Netanyahou sur l’Iran contribuent à la condamnation de Trump et, théoriquement, à son emprisonnement !

Que se passe-t-il ? D’un côté, Israël claironne haut et fort que des progrès majeurs ont été faits lors des négociations du JCPOA (Plan d’Action d’Entente Commune) entre les Etats-Unis et l’Iran – et qu’un nouvel accord devrait arriver dans les prochaines semaines – incluant le déblocage d’environ 20 milliards de dollars d’avoirs iraniens gelés. Bonté divine ! Israël n’est absolument pas prêt à l’empêcher – tout le monde aux abris, hurlent les gros titres !

Le correspondant israélien chevronné, Ben Caspit, a fait augmenter la tension de l’Occident en citant le général américain Mark Milley annonçant que l’Iran n’était qu’à deux semaines d’enrichir assez d’uranium à usage militaire pour quatre ou cinq bombes nucléaires – et à quelques mois de la réalisation d’une véritable arme.

Cependant, autant les Etats-Unis que l’Iran prétendent qu’il est faux de dire qu’un accord est en gestation. L’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA) affirme que l’Iran a répondu avec succès à deux de ses « questions en suspens » ; que la revendication aberrante d’enrichissement à 84% était « accidentelle » ; que l’Iran a réinstallé toutes les caméras de surveillance de l’AIEA ; et que l’Iran n’enrichit pas au-delà de 60% (bien en dessous du niveau de 90% requis pour des armes). Alors pourquoi cette divergence ? Pourquoi ce tapage ?

Un simple coup d’oeil à la géopolitique montre l’Iran comme étant profondément préoccupé par la nouvelle donne dans la région : l’Iran est en train d’entrer dans le Projet eurasien qui évolue rapidement ; il construit son entente avec l’Arabie saoudite et les Etats du Golfe – en établissant une nouvelle force navale conjointe avec ses partenaires du Golfe pour assurer la sécurité maritime dans le Golfe persique ; et il établit des accords de défense et de sécurité étendus avec la Russie.

En clair, l’Iran est occupé ailleurs. Il n’a pas « envoyé de piques » en direction d’Israël – bien que comme tout le monde musulman, l’Iran surveille de près toute provocation des ministres de Netanyahou contre la mosquée d’Al-Aqsa, ce qui pourrait mettre le feu au monde islamique.

Et bien, Laura Rosen, une « ancienne » de la politique américaine du JCPOA, écrit :

« Pour avoir lu quelques articles dans les médias israéliens, on pourrait suspecter que les Etats-Unis et l’Iran sont sur le point de conclure une sorte de nouvel accord nucléaire, ou mini-accord. Mais il y a des raisons de penser que ces articles nous mentent, et que du côté isaélien, ils sont pensés pour faire échouer toute entente beaucoup plus limitée […] en l’absence de conditions pour une nouvelle résolution diplomatique majeure pour l’Iran. » [souligné par l’auteur]

« Pour les représentants de l’administration de Biden, les fuites, et pirouettes des fonctionnaires israliens, doivent être une source d’irritation extrême. D’autant plus qu’ils déforment et instrumentalisent les informations que les Etats-Unis ont transmis aux Israéliens afin de les tenir au courant – et essayer de les rassurer sur la nature apparemment plutôt limitée des efforts mis en oeuvre. »

« [Netanyahou lors d’un appel au secrétaire Blinken] semble insinuer à tort que les Etats-Unis envisagent un retour à l’accord nucléaire iranien de 2015, que Trump a quitté en 2018 sur les encouragements de Netanyahou – alors que cela n’a pas du tout l’air d’être le cas. »

Rosen est très certainement proche de la vérité lorsqu’elle ajoute :

« Comme me l’a confirmé un autre représentant de Washington cette semaine, les Israéliens n’apprécient aucune forme de diplomatie ou efforts diplomatiques qu’ils pensent en mesure de diminuer la pression sur le régime iranien – même quand la demande présumée de l’Iran – est de s’abstenir de toute nouvelle avancée dans le domaine nucléaire qui aggraverait la situation. »

La réalité ici est que alors que les contacts entre les Etats-Unis et l’Iran continuent (via Oman), ils se sont principalement concentrés sur les libérations et les échanges de prisonniers, ce qui comme toujours est hautement valorisé en période électorale américaine. Mais dans la mesure où le retour des Etats-Unis à la maison est un plus électoral évident, libérer une telle somme de biens gelés à l’Iran est une erreur tout aussi évidente lors d’une période électorale.

Le second objectif – à nouveau une campagne de Biden impérative – est qu’aucune guerre ne se déclenche dans la région pendant la campagne à l’élection 2024. L’équipe souhaite un « calme industriel. »

En dépit des inquiétudes de Washington, Netanyahou est trop « militant » contre l’effondrement des commentaires approbateurs.

Et « l’échec à long-terme le plus dangereux de Netanyahou, sa maladresse la plus flagrante et la plus atroce », observe Alon Pinkas, c’est l’Iran :

« Ce dernier est, pour Netanyahou, sa raison d’être à part entière, sa fonction historique. Dans son esprit et son interprétation de l’histoire, c’est lui qui est le mieux placé pour sauver la civilisations juive – et même occidentale – de l’extinction. »

« Son échec le plus flagrant et le plus frappant est cependant « l’israélisation » de la question du nucléaire iranien. Après avoir attiré avec succès l’attention du monde sur la menace posée par l’Iran – Netanyahou a été intransigeant et insistant sur le fait qu’aucune solution diplomatique n’était durable, sous-entendant que les Etats-Unis devraient menacer de manière crédible et considérer l’usage de la force militaire » – comme unique solution.

Netanyahou a réussi comme prévu à convaincre Trump de se retirer du JCPOA en 2018, et à l’approche de 2020, Netanyahou semblait sur le point d’atteindre son objectif ultime d’obtenir une action militaire américaine contre l’Iran. Lors d’une réunion à la Maison Blanche, l’un des conseillers de Trump a évoqué la possibilité d’une action militaire pour arrêter l’Iran – si Trump venait à perdre l’élection. Lors d’une autre réunion, à laquelle Trump n’assistait pas, quelques conseillers du président pour la politique étrangère ont encore une fois insisté pour une intervention militaire contre l’Iran. Milley a ensuite précisé que lorsqu’il leur avait demandé pourquoi ils étaient si déterminés à attaquer l’Iran, le vice-président Mike Pence aurait répondu : « Parce qu’ils [les Iraniens] sont démoniaques. »

Dans les mois après l’élection, la question de l’Iran a été soulevée de nombreuses fois lors de réunions à la Maison Blanche au cours desquelles le président Trump et Milley s’opposant à une frappe. Trump ne voulait pas de guerre, pensait le responsable de la défense. Cependant Trump a continué à militer pour une frappe de missiles (plutôt qu’une guerre ouverte) en réponse à diverses provocations contre les interêts américains dans la région.

Donc, résumons la situation : les élections arrivent en Israël, et Netanyahou ne peut pas accepter que son « appel historique » pour sauver la civilisation occidentale ne soit un faux pas flagrant et crucial. Il doit peaufiner son image d’homme fort avant les élections isaréliennes.

C’est donc Netanyahou, qui crie au loup à propos d’un accord imminent, non pas parce qu’il croit que l’équipe de Biden va céder à une intervention militaire, mais pour réaffirmer son statut intérieur d’un « Churchill d’Israël » se tenant seul, droit, alertant sur le danger existentiel à l’encontre des civilisations ; et pour provoquer la Maison Blanche à enfin inviter Bibi dans le bureau ovale pour calmer la tempête qu’il déclenche – une tempête qui pourrait empirer jusqu’à menacer le calme dans la région que Biden espère évidemment à l’approche des élections.

La dernière excentricité extraordinaire est que, dans l’acte récent d’accusation de Trump – pour mal-utilisation et diffusion à des personnes non-autorisées de documents de défense et de sécurité – les numéros 6,33 et 34 des actes d’accusation font référence aux plans d’actions militaires contre l’Iran du général Miley (que Trump a rejetés). Dans les numéros 33 et 34, Trump est décrit et cité dans une conversation avec quatre personnes, aucune n’étant titulaire accréditations Top-Secret pour voir et entendre de tels secrets. Trump leur a montré « un plan d’attaque sur un pays A » rédigé par un « haut responsable militaire. »

Quel paradoxe, les manigances sournoises de Netanyahou sur l’Iran contribuent à la condamnation de Trump et en théorie même à sa mise en prison !

Source : TheAltWorld, Alastair Crooke
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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