Le regain des tensions entre la Jordanie et Israël, Le résultat des politiques expansionnistes de Netanyahou

Exclusive, Bianca Anton– En cherchant dans les archives de l’INA (L’Institut national de l’audiovisuel), l’on découvre des vidéos datées de 1948 montrant l’entrée triomphale de l’armée arabe dans la ville de Jérusalem. C’était à la suite de la première guerre anti-occupation annoncée solennellement par le Roi Abdallah le Premier, à Amman, la capitale de la Transjordanie. Ces vidéos nostalgiques en noir et blanc, rappellent la longue histoire des rapports entre la Jordanie et Israël. Des rapports paradoxaux et ambigus qui oscillent continuellement entre la paix et la guerre. En fait, les conflits armés entre ces deux voisins ont commencé dès l’époque ottomane, avant la création officielle de l’État hébreu en 1948. Les deux pays se sont affrontés militairement en 1956 et en 1973 avant d’opter pour la voie pacifique. Les années 1970 et 1980 ont même donné lieu  à certaines coopérations, en particulier dans le domaine du renseignement, alors que les  deux pays étaient tous deux ciblés par les fadayin palestiniens de Yasser Arafat.

À la suite d’un enchaînement de négociations encouragées par la Maison-Blanche sous le gouvernement de Bill Clinton, le 26 octobre 1994 à Wadi Araba en Israël, le Roi Hussein (le fils du Roi Abdallah, mort en 1951), signe le traité de paix israélo-jordanien  avec l’ennemi juré de son père. La signature de ce traité crée d’abord une sorte d’euphorie chez les Israéliens et a été interprétée comme un signe de la normalisation des rapports arabo-israéliens, surtout que ce traité faisait suite à celui signé  avec l’Égypte, un autre protagoniste majeur des guerres anti-occupation. Cependant, contrairement à ce que véhiculait la propagande des médias sionistes, ce traité n’a jamais pu mettre fin aux tensions entre Tel-Aviv et Amman.  population jordanienne n’a jamais reconnu ce traité, jugé humiliant, comme une solution définitive. Une première grande crise s’est produite en 1997 lorsque le Mossad a manqué sa tentative  d’assassiner le dirigeant du Hamas, Khaled Meshal, en plein jour, dans les rues d’Amman. Un autre exemple pour illustrer la fragilité de ce traité est l’incident de la fusillade perpétrée par  un garde frontalier jordanien, visant de jeunes écoliers d’un établissement sioniste, qui a forcé le roi hachémite de présenter des excuses officielles.

Les tensions entre Israël et la Jordanie se sont aggravées surtout sous le gouvernement de Netanyahou, promoteur d’un  Israël belliciste, qui lui a valu la réputation de  Faucon, avec Ariel Sharon, alors que des figures plus modérées comme Yitzhak Rabin et Shimon Peres, sont qualifiées dans  la terminologie politique d’Israël par le titre de Colombes.

Sous Netanyahou, les désaccords entre les deux pays se sont multipliés dans plusieurs domaines y compris dans le domaine diplomatique. L’ambassade d’Israël à Amman a été attaquée en juillet 2017 après qu’Israël ait mis en place des barrières équipées de détecteurs dans l’esplanade de la sainte mosquée al-Aqsa. Tout récemment, en octobre 2019, la Jordanie a rappelé son ambassadeur en Israël pour protester contre la détention de deux citoyens jordaniens, Hiba al-Labadi et Abdul Rahman Miri. La Jordanie, à son tour, a arrêté un citoyen israélien sous prétexte que ce dernier est entré illégalement sur son territoire.

À l’été 2019, en pleine campagne électorale, pendant laquelle il a promis l’annexion de la vallée du Jourdain (représentant 30% de la Cisjordanie), Netanyahu a sollicité une  rencontre avec le roi Abdallah, qui a opposé un refus catégorique  La dernière rencontre publique entre le roi et les dirigeants israéliens remonte à 2014. Oded Eran, ancien ambassadeur d’Israël en Jordanie et directeur de l’INSS  (Institute for National Security Studies) entre 2008 et 2011, dit à propos des rapports entre les deux pays : «Tant qu’il n’y a pas de dialogue à haut niveau, nous continuerons de passer d’une crise à l’autre».

Une autre affaire qui a mis en évidence la froideur des relations entre les deux pays concerne les terres que le Roi Hussein a   avait prêtées à Israël pour une période de 25 ans (le bail se terminant le 10 novembre 2019), comme clause du traité de la paix de 1994. Israël avait eu accès aux deux enclaves agricoles de Baqoura et Ghoumar, avec l’option d’un probable renouvellement. Mais la Jordanie du roi Abdallah II n’a pas renouvelé la location et a repris ces terres lors d’une visite où il était accompagné par le prince héritier. « Ces deux parties sont des terres jordaniennes et elles resteront des terres jordaniennes. Nous exerçons notre pleine souveraineté sur nos terres», a déclaré le roi Abdallah II lorsque le 10 novembre. En 2019, Israël a quitté ces zones dans une ambiance dramatisée par les médias sionistes.

Ces deux enclaves, qui comprennent des champs agricoles et une ancienne centrale électrique construite par un ingénieur juif (situées à la  rencontre des fleuves Yarmouk et du Jourdain), ne sont pas d’une grande superficie. Les deux zones ne couvrent que 220 hectares. Mais elles présentent plutôt une valeur symbolique. Les médias les surnomment « l’île de la paix ». La décision du roi de ne pas renouveler le bail de ces zones a pourtant été interprétée, par certains analystes, comme une réponse aux exigences politiques intérieures influencées par la position antisioniste de la population jordanienne. Selon ces experts, le roi visait à faire taire les nombreuses voix réclamant la résiliation totale du traité de 1994.

La question palestinienne joue aussi un rôle dans les conflits israélo-jordaniens. Certaines figures de l’entourage de Netanyahou affirment officiellement qu’ils considèrent la Jordanie comme la terre des Palestiniens. Le pourcentage des Palestiniens dans le royaume hachémite est devenu ainsi un sujet de discorde entre les deux pays: alors que la Jordanie estime que les réfugiés palestiniens constituent 40% de la population, Israël évalue ce  nombre à 60%. La population jordanienne  d’origine palestinienne découle notamment de la tragique déportation à la suite de la  Nakba. Rania Yassin, la reine de la Jordanie, appartient à une famille palestinienne originaire de Tulkarem, en Cisjordanie. Les leaders du Likoud proposent ouvertement que le nom de la Jordanie soit changé pour Palestine. Une telle idée serait digne du  « Deal du Siècle » de Jared Kushner, le gendre et conseiller du président Donald Trump .

Parmi les autres causes qui expliquent le climat glacial qui règne actuellement dans les relations entre Tel-Aviv et Amman, nous pouvons citer la décision prise par les États-Unis de déplacer son ambassade à Jérusalem. Cette décision de l’administration Trump découle du  lobbying de Netanyahou, également actif auprès de plusieurs autres  pays les pressant d’emboîter le pas des États-Unis. Cette démarche est clairement contre la solution des deux États, promue par l’UE et une grand partie de la communauté internationale. En outre, comme nous venons de l’évoquer, Benjamin Netanyahou, en brisant toutes les normes lors de sa campagne électorale, a promis d’annexer la vallée du Jourdain et d’installer d’autres implantations illégales en Cisjordanie après les élections. Il a même osé organiser un conseil des ministres symbolique à Al-Khalil (Hébron). Au cours de la dernière visite de John Bolton, ’ancien conseiller de la Maison-Blanche pour la sécurité nationale, Netanyahou a organisé une tournée dans la vallée du Jourdain.

Mais la cause principale des tensions récentes entre les deux pays est la question délicate de l’administration des lieux saints islamiques de Jérusalem. Dans le traité de paix de 1994, Israël avait promis de respecter le rôle spécial du royaume hachémite dans les sanctuaires islamiques de Jérusalem et s’était engagé à accorder une haute priorité au rôle historique de la Jordanie dans ces lieux de pèlerinage. D’après le Coran, c’est à partir de la mosquée al-Aqsa que le prophète Mahomet a fait son ascension légendaire vers le Royaume des Cieux. Pour le roi Abdallah II, son rôle de gardien des lieux saints musulmans de Jérusalem contribue à renforcer sa légitimité, tant auprès de ses citoyens qu’envers d’autres pays musulmans, bien que ce rôle ait été contesté à maintes reprises par l’Autorité palestinienne, le Hamas, la Turquie et même par l’Arabie Saoudite. Ce statut est un peu comparable avec le rôle des rois de Ryad qui se donnent officiellement le titre islamique du « Serviteur de deux Harems ».

En plus, en Israël de Netanyahou, il y a de plus en plus de pression interne pour limiter le pouvoir de la Jordanie afin de permettre aux institutions religieuses israéliennes de jouer un rôle plus important dans la gestion et l’utilisation des lieux saints de la ville. Le Likoud est en coalition avec les partis orthodoxes de l’extrême droite et donc se voit obligé de leur donner des concessions dans ce sens. Les mouvements sionistes extrémistes, incarnés par les partis politiques comme Shas et le Judaïsme unifié de la Torah, poussent le gouvernement de Netanyahou à limiter encore plus l’impact de l’organisation Waghf Islamique, la structure hachémite de la direction de la Mosquée al-Aqsa. L’incident de la porte de la Miséricorde était un exemple bien précis de cette volonté du gouvernement de Netanyahou de renforcer la présence israélienne dans la mosquée al-Aqsa et pour flatter les extrémistes qui rêvent de construire leur temple imaginaire au lieu de la sainte mosquée al-Aqsa. Cette tendance de Netanyahou est certainement en lien avec l’annonce de Jérusalem comme la capitale d’Israël. La majorité des rencontres de Netanyahou avec les chefs d’État étrangers se déroule déjà dans le bureau du premier ministre à Jérusalem.

En tenant compte de l’importance de la Jordanie dans la politique régionale d’Israël, certains experts ont déjà senti cette inquiétude à l’égard des actes agressifs, humiliants et provocateurs du gouvernement de Netanyahou contre le partenaire stratégique de l’État hébreu parmi les pays arabes. Même le public israélien s’est sensibilisé à propos des gestes anti-jordaniens de Netanyahou. Une étude du think tank Mitvim (The Israeli Institute for Regional Foreign Policies) a révélé en novembre 2019 que 71 % des citoyens israéliens croient que la paix avec la Jordanie est encore un atout stratégique pour Israël. Pourtant la même étude montre que 16 % des Israéliens croient que la paix avec la Jordanie a perdu l’importance qu’elle avait dans la politique régionale de Tel-Aviv. En ce qui concerne les coopérations entre Israël et les pays arabes, l’Arabie Saoudite avec 25% et l’Égypte avec 19% des voix ont atteint le premier et le deuxième rang dans le classement de Mitvim. La Jordanie a pu gagner seulement 3% des voix des citoyens d’Israël et s’est positionnée au 3ème rang.

Mais au contraire de ces chiffres décevants, la Jordanie qui partage avec Israël 309 kilomètres de la frontière fonctionne encore comme un pont entre Israël et le monde arabo-islamique. En ce qui concerne la sérieuse crise hydrique, la Jordanie importe beaucoup pour l’avenir d’Israël, très menacé au niveau des approvisionnements en eau. Il ne faut pas oublier également le statut religieux de ce pays qui est sous le règne d’une famille descendante du prophète d’Islam et l’ancienne maîtresse du Hedjaz. Le roi Abdallah le premier était né à La Mecque et son père était gouverneur du Hedjaz avant l’occupation de cette région de l’ouest de l’Arabie par la tribu saoudite. Outre l’Arabie et la Jordanie, l’Irak aussi était géré par une branche de la même famille arabe. Durant la première guerre contre Israël en 1948, l’armée victorieuse arabe qui a quitté Amman pour libérer Jérusalem, occupée par les divisions de Haganah, était déjà composée des troupes jordaniennes et irakiennes, sous le commandement unifié d’un général jordanien.

En bref, les politologues croient que, si un référendum était organisé aujourd’hui en Jordanie, la plupart des Jordaniens voteraient contre le traité de paix de 1994 avec Israël. La haine antisioniste parmi la population jordanienne ne cesse de croître de génération en génération.

 

Alors que  l’avenir des relations israélo-jordaniennes est incertain, le ministère israélien des affaires étrangères sous la direction de Yisrael Katz, l’homme numéro 3 du Likoud, préfère clairement augmenter ses relations avec l’Arabie saoudite et les pays arabes du Golfe sans considérer les liens et les désaccords spécifiques entre les différents membres de la Ligue arabe. Est-ce que cette politique naïve de la normalisation des rapport avec les pays arabes du Golfe va aboutir à la perte de l’amitié d’Amman ? Est-ce que comme dit cette célèbre présentatrice de la télévision étatique de la Jordanie, les Jordaniens vont écraser ce traité de paix tellement vénéré par Israël ? C’est trop tôt pour répondre à ces questions. Ce qui  est déjà sûr est qu’alors  que se célébrait le 25ème anniversaire de la signature du traité de 1994, personne ni à Tel-Aviv ni à Amman, n’a plus pensé à lancer des ballons colorés dans l’air soupçonné qui règne actuellement sur la scène politique du Proche-Orient.

 

Sources :

–       https://www.aljazeera.com/news/2019/11/jordan-reclaims-border-lands-israel-ties-strain-191109165310967.html

–       https://www.ina.fr/video/AFE85002036/la-bataille-de-palestine-prise-de-jerusalem-par-les-forces-arabes-video.html

–     https://www.mitvim.org.il/images/English_Report_-_The_2019_Israeli_Foreign_Policy_Index_of_the_Mitvim_Institute.pdf

–       https://www.voanews.com/middle-east/tensions-growing-between-israel-and-jordan

–       https://www.nytimes.com/times-journeys/students/travel/israel-and-jordan-conflict-and-peace/

–       https://www.timesofisrael.com/jordanian-tv-host-calls-to-gouge-out-eyes-of-the-zionists/

–       https://www.timesofisrael.com/colder-than-ever-25-years-on-israel-and-jordan-ignore-peace-treaty-anniversary/

–       https://ips-dc.org/israels_jordan_is_palestine_option/

–       https://www.jpost.com/Opinion/Israel-Jordan-25-years-of-peace-606103

–       https://www.huffpostmaghreb.com/entry/la-question-palestinienne-au-coeur-des-discussions-entre-le-roi-abdallah-ii-de-jordanie-et-le-roi-mohammed-vi_mg_5c9b40c9e4b072a7f601a88e

–       https://www.mei.edu/publications/there-may-not-be-any-celebrations-israeli-jordanian-peace-agreement-has-endured-25

–       https://fr.timesofisrael.com/jerusalem-est-une-ligne-rouge-avertit-le-roi-de-jordanie/

–       https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/en-visite-au-maroc-le-roi-de-jordanie-cherche-un-allie-pour-la-sauvegarde-de-jerusalem

–       https://www.i24news.tv/fr/actu/international/moyen-orient/1572015813-israel-jordanie-25-ans-d-une-paix-sur-fond-de-tensions

–       https://www.institutmontaigne.org/blog/25-ans-plus-tard-pourquoi-la-jordanie-veut-elle-reprendre-ses-terres-pretees-israel

–       https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/10/21/la-jordanie-veut-reprendre-a-israel-des-zones-pretees-depuis-l-accord-de-paix-de-1994_5372547_3218.html

–       https://www.rtl.fr/actu/international/un-jordanien-tue-et-un-israelien-grievement-blesse-a-l-ambassade-d-israel-a-amman-7789462729

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