Sur la situation géopolitique dans les Caraïbes

La transformation des processus clés de la politique mondiale et l’intensification de l’action de la Russie en Amérique latine obligent à regarder de plus près la région située à proximité immédiate des États-Unis – les Caraïbes, qui sont un carrefour pour les intérêts de nombreuses grandes puissances.

La plupart des acteurs de la région sont de petits pays, même s’il existe des géants comme le Mexique et le Venezuela. Certains sont des clients des Etats-Unis, un certain nombre ont des politiques indépendantes et sont en bons termes avec la Russie. Mais la plupart préfèrent trouver un équilibre.

En raison de sa proximité avec les États-Unis, Washington a toujours accordé une attention particulière à la région. En 1983, alors que la guerre froide faisait encore rage, les États-Unis ont lancé l’Initiative du bassin des Caraïbes (ICB), qui est devenue la pierre angulaire de l’interaction économique entre les États-Unis et les Caraïbes.

L’idée était de fournir une aide économique à la région afin de faire des États de la région des satellites fiables. Il s’agissait d’une sorte de soft power visant à contrer toute influence de l’Union soviétique et de ses alliés, surtout de Cuba. Officiellement, comme aujourd’hui, elle était justifiée par la nécessité de promouvoir et de renforcer les démocraties des Caraïbes.

L’ICB se compose de deux programmes commerciaux destinés aux pays et territoires des Caraïbes et d’Amérique centrale : la loi sur la relance économique des Caraïbes (CBERA) et la loi sur le partenariat commercial des Caraïbes (CBTPA).

Aujourd’hui, l’ICB fournit des avantages à 17 pays dans le cadre de la CBERA, dont huit sont également bénéficiaires de la CBTPA. La CBERA est imprescriptible et la CBTPA a été re-prolongée par le Congrès américain jusqu’en 2030. Les États-Unis offrent aux pays des Caraïbes un accès favorable à leur marché, ainsi qu’une impulsion en faveur de réformes libéralisées.

En 2016, la loi sur l’engagement stratégique États-Unis-Caraïbes a été adoptée, qui vise à accroître l’engagement avec les gouvernements, le secteur privé et la société civile dans la région. Les États-Unis partent du principe qu’ils n’ont pas encore tiré suffisamment d’avantages des Caraïbes et vont identifier divers points focaux pour s’engager, c’est-à-dire accroître leur influence.

Les États-Unis sont le premier partenaire commercial des Caraïbes et, à leur tour, les Caraïbes sont le sixième partenaire commercial des États-Unis, avec 35,3 milliards de dollars passant entre eux chaque année. En 2017, la région était le troisième marché d’exportation américain de produits manufacturés en Amérique latine, après le Mexique et le Brésil.

Toutefois, en dehors de l’accord de libre-échange entre la République dominicaine et l’Amérique centrale (CAFTA-DR), les pays des Caraïbes ne disposent pas d’accords de libre-échange bilatéraux avec les États-Unis, n’ayant accès aux marchés américains que par le biais de l’ICB.

Présence militaire américaine

Les États-Unis restent le principal partenaire des Caraïbes en matière de coopération sécuritaire. La région abrite sept bases militaires américaines clés qui font partie du Commandement sud des États-Unis (SOUTHCOM), et la sécurité a été un élément central de la stratégie américaine dans les Caraïbes [i]. Les bases américaines actives en Amérique latine sont connues sous le nom de “Forward Operation Locations” (FOL) ou Cooperative Security Locations (CSL).

Ironiquement, l’une des bases est située à Cuba, dans la province de Guantanamo et représente en fait l’occupation illégale de la République depuis 1959. Le Honduras possède une base à Palmerola/Soto Cano, qui abrite environ 500 militaires américains + 600 entrepreneurs civils (dont des ressortissants honduriens).

Au Salvador, les avions de l’US Navy et de la Drug Enforcement utilisent l’aéroport international de Comalapa. La garnison qui s’y trouve fait partie du Joint Interagency Group basé à Key West, en Floride. Les îles de Curaçao et d’Aruba, qui sont des territoires d’outre-mer des Pays-Bas, ont rendu leurs territoires disponibles pour une présence militaire américaine.

L’armée américaine est assistée par les garde-côtes néerlandais. Une base militaire américaine existe à Antigua depuis la Seconde Guerre mondiale. L’US Air Force loue désormais le site au gouvernement d’Antigua. Aux Bahamas, il existe un centre pour tester les nouvelles armes sur l’île d’Andros. Il est associé à la marine américaine, mais d’autres membres de l’OTAN – Canada, Danemark, Allemagne, Grèce, Italie, Norvège, Grande-Bretagne – sont régulièrement présents sur le site. Enfin, l’armée américaine utilise régulièrement le port principal du Panama à Basco Núñez de Balboa pour le ravitaillement en carburant et le déchargement [ii].

Au large des côtes du Panama, l’armée américaine mène continuellement depuis 2003 des exercices militaires PANAMAX sous le prétexte de sécuriser le fonctionnement du canal. Il est intéressant de noter qu’aucune menace n’a jamais pesé sur le canal [iii].

La stratégie 2017-2027 de l’US SOUTHCOM indique que les défis potentiels futurs comprennent les réseaux de menaces transrégionaux et transnationaux qui incluent les organisations criminelles traditionnelles ainsi que la capacité croissante des organisations extrémistes telles que l’ISIL et le Hezbollah opérant dans la région, en utilisant les institutions faibles des Caraïbes et de l’Amérique latine. L’US SOUTHCOM note également que la région est “extrêmement vulnérable aux catastrophes naturelles et aux épidémies de maladies infectieuses” en raison des problèmes de gouvernance et d’inégalité.

Enfin, le rapport reconnaît la présence croissante de la Chine, de l’Iran et de la Russie dans la région et que les intentions de ces pays constituent “un défi pour toute nation qui valorise la non-agression, l’état de droit et le respect des droits de l’homme” [iv]. Ces préoccupations ont servi de prétexte pour renforcer les relations entre les États-Unis et les gouvernements de plusieurs pays de la région.

Dans ce cadre, l’Initiative de sécurité du bassin des Caraïbes (CBSI) est un partenariat de sécurité collaborative qui soutient la coopération en matière de lutte contre le trafic, de prévention du crime et d’initiatives de sécurité citoyenne.

Entre 2010 et 2018, le programme a dépensé plus de 556 millions de dollars. Le programme se concentre sur la coopération maritime et aérienne, le renforcement des capacités d’application de la loi, la sécurité des frontières et des ports, la réforme judiciaire et la prévention de la criminalité chez les jeunes à risque. Il implique le Bureau des affaires internationales de stupéfiants et de répression, le ministère de la Défense et l’Agence américaine pour le développement international.

Le rôle de la Chine, les intérêts de la Russie et d’autres pays

Fait important, entre 2002 et 2019, le commerce entre la région et la Chine a été multiplié par huit, passant de 1 à 8 milliards de dollars. Malgré l’existence du Forum de coopération économique et commerciale Chine-Caraïbes, les relations commerciales reposent essentiellement sur des accords bilatéraux, qui permettent à la Chine d’exporter principalement des produits manufacturés de grande valeur.

Le commerce sur les marchés chinois reste cependant largement unilatéral ; la CARICOM n’a pas d’accord d’accès préférentiel avec la Chine, qui a toujours un énorme excédent commercial dans la région. Grâce à sa présence croissante dans les Caraïbes, la Chine a de plus en plus attiré les partenaires commerciaux de longue date de Taïwan ces dernières années, alors même que Taïwan continue de proposer des accords de libre-échange bilatéraux dans le cadre d’une lutte d’influence.

Quatre des 15 pays qui reconnaissent Taïwan se trouvent dans les Caraïbes. Néanmoins, ces pays ont toujours un volume d’échanges nettement supérieur avec la Chine continentale, car Taïwan attire ses alliés dans la région principalement par le biais d’investissements et d’aides étrangères.

Le commerce entre le Mexique et les pays du CARICOM est également relativement insignifiant. Quant au Mexique, le commerce avec les Caraïbes représente moins de 0,1 % de son portefeuille de commerce international. Collectivement, les autres pays d’Amérique latine ont également des échanges minimes avec les pays du CARICOM : ces derniers ont exporté 2,2 milliards de dollars vers l’Amérique latine et importé 3 milliards de dollars de la région en 2019.

Le commerce entre les pays de la CARICOM et le Canada est également faible. Cette relation économique est régie par l’Accord commercial entre le Canada et les Caraïbes (CARIBCAN), qui accorde aux pays des Caraïbes un accès en franchise de droits au Canada de manière unilatérale dans le cadre d’une initiative similaire à l’ICB. Cependant, malgré de nombreuses négociations, les États des Caraïbes n’ont pas encore conclu d’accord de libre-échange officiel avec le Canada, comme ils l’ont fait avec l’Union européenne.

En 2008, le Forum des Caraïbes a signé l’accord de partenariat économique CARIFORUM-UE, donnant à chaque région un accès préférentiel à l’autre. L’Union européenne est le deuxième partenaire commercial du CARIFORUM après les États-Unis. Elle importe principalement du carburant et des produits miniers des Caraïbes.

En 2010, la Russie et le CARIFORUM ont signé un protocole d’accord et établi un mécanisme de dialogue politique et de coopération. Et ce cadre juridique d’engagement s’étend [v]. En 2013, la Russie a effacé 277.000 dollars de dette envers la Guyane, et en 2015, un accord a été signé pour restructurer la dette de la Grenade.

Lorsque la question de la Crimée a été examinée à l’ONU en 2014, évaluant le retour de la Crimée à la Russie, la plupart des États des Caraïbes ont adopté une position neutre. Ces États étaient Antigua-et-Barbuda, la Jamaïque, le Guyana, le Suriname, la République Dominicaine, Saint-Kitts-et-Nevis, Sainte-Lucie et Saint-Vincent-et-les-Grenadines. Peu de pays ont voté contre la Russie, parmi lesquels des pays traditionnellement pro-américains comme la Barbade, les Bahamas, Haïti et Trinité-et-Tobago [vi].

Depuis 2018, tous les pays des Caraïbes sont devenus exempts de visa pour les citoyens russes.

Le 27 juillet 2019, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d’une visite au Suriname, a noté l’intérêt des pays de la Communauté des Caraïbes à accroître la coopération et le dialogue politique avec Moscou : “Nous avons un intérêt mutuel à accroître la coopération, y compris le dialogue politique, entre les membres de la Communauté des Caraïbes et la Russie” [vii].

Selon l’ambassadeur russe en Guyane, Nikolay Smirnov, qui représente également notre pays à la Barbade, à Grenade, à Trinité-et-Tobago et à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, “les pays des Caraïbes soutiennent le concept de multipolarité avec un rôle de coordination pour l’ONU, la règle du droit international et le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres États”.

Et leurs voix ont un certain poids dans les arènes internationales, d’autant plus qu’ils adoptent souvent une position consolidée sur les grandes questions à l’ordre du jour international – qu’il s’agisse de la mise en œuvre des dispositions de l’Accord de Paris sur le climat, de la levée de l’embargo commercial et économique contre Cuba ou de la nécessité de résoudre la crise au Venezuela sans pression ni ingérence extérieures” [viii].

Dans la région, la Russie n’a une présence militaire conventionnelle qu’au Venezuela et au Nicaragua, avec des conseillers et des formateurs. Au Nicaragua, la Russie contribue également à la lutte contre le crime organisé, en particulier les tentatives d’utiliser le pays comme pays de transit pour les drogues.

La proximité de la région avec les États-Unis en fait une route majeure pour les activités illicites, notamment pour les organisations criminelles colombiennes et mexicaines qui coopèrent avec des groupes locaux pour le trafic de drogue dans les Caraïbes. Mais récemment, des cargaisons de drogue ont également été envoyées directement en Europe via des ports colombiens et brésiliens.

Le développement énergétique peut également présenter un certain intérêt. Seuls trois pays des Caraïbes – la Guyane, le Suriname et Trinité-et-Tobago – sont des exportateurs nets d’énergie, tandis que les autres dépendent fortement des importations de produits pétroliers [ix]. Trinité-et-Tobago est un important fournisseur d’énergie de la région, mais doit faire face à une baisse des revenus pétroliers en raison de la chute des prix mondiaux.

Le Guyana et le Suriname sont également sur le point de devenir des acteurs sérieux dans l’exploration des hydrocarbures dans la région, selon les données récentes des compagnies pétrolières internationales. Les réserves du bassin dit de la Guyana, dont la production a débuté en 2019, sont estimées à 10 milliards de barils, ce qui en fait l’hôte de l’un des 50 plus grands bassins pétroliers du monde.

La Guyane est membre du Commonwealth britannique et est le seul pays anglophone du continent. En outre, la Grande-Bretagne possède des territoires dans la région – Anguilla, les îles Vierges britanniques, les îles Caïmans et Montserrat font toutes partie des Petites Antilles, autrefois découvertes par Christophe Colomb et conquises par l’Espagne.

Trinité-et-Tobago est depuis longtemps le plus grand producteur de gaz naturel liquéfié (GNL) des Caraïbes et le sixième plus grand producteur de GNL au monde, ce qui en fait la seule nation insulaire de la région qui n’est pas un importateur net d’énergie.

Les Caraïbes sont également considérées comme ayant un énorme potentiel pour une transition énergétique verte, étant donné leur abondance de possibilités de production d’énergie solaire, éolienne, géothermique volcanique et (dans des circonstances limitées) marémotrice et hydroélectrique.

Il semble qu’une position plus active de la Russie dans la région, ainsi que sa participation à divers projets économiques et d’infrastructure, pourraient accroître le statut et le rôle de Moscou, et favoriser une nouvelle expansion de sa présence politique et même militaro-politique.

https://www.geopolitica.ru/fr/article/sur-la-situation-geopolitique-dans-les-caraibes
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Notes:

[i]               https://www.coha.org/the-u-s-militarys-presence-in-the-greater-caribbean-basin-more-a-matter-of-trade-strategy-and-ideology-than

[ii]              https://www.state.gov/wp-content/uploads/2019/12/WHA-US-Caribbean-2020-Report-web.pdf

[iii]             https://www.navaltoday.com/2016/07/26/panamax-military-exercise-kicks-off/

[iv]            https://web.archive.org/web/20170622051944/http://www.southcom.mil/Portals/7/Documents/USSOUTHCOM_Theater_Strategy_Final.pdf?ver

[v]             https://interaffairs.ru/news/show/23281

[vi]            http://vestnik.bukep.ru/articles_pages/articles/2014/2014-4/Articles_362-365.pdf

[vii]           http://caribbean-russia.com/frend

[viii]          https://iz.ru/668332/nataliia-portiakova/kariby-i-rossiia-podderzhivaiut-kontceptciiu-mnogopoliarnosti

[ix]            https://data.worldbank.org/indicator/EG.FEC.RNEW.ZS?locations=S3

[viii] https://iz.ru/668332/nataliia-portiakova/kariby-i-rossiia-podderzhivaiut-kontceptciiu-mnogopoliarnosti

[ix] https://data.worldbank.org/indicator/EG.FEC.RNEW.ZS?locations=S3

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