Course contre la montre: Poutine va-t-il l’emporter ou les Européens se soulèveront-ils contre l’inflation avant?
La guerre que se livrent les États-Unis et la Russie en Ukraine s’approche d’un stade critique au cours duquel son sort pourrait être scellé, mais elle est loin d’être terminée. Sauf que la pression économique augmente dans tous les pays impliqués dans cette guerre, alors que chaque partie tente de l’emporter rapidement avec le moins de dégâts possible. Mais ce n’est pas demain la veille qu’une victoire sera obtenue et que la poussière retombera, car il s’agit d’une bataille qui déterminera le sort de la Russie et des États-Unis. Par conséquent, c’est la partie qui tiendra le plus longtemps qui l’emportera. Mais le prix à payer semble élevé et des pertes considérables sont inévitables, principalement pour l’Ukraine et l’Europe, quels que soient les résultats définitifs de la lutte entre les deux superpuissances.
Le président américain Joe Biden s’en est pris à ses rivaux républicains pour avoir suggéré la possibilité de réduire le financement de l’Ukraine après les élections de mi-mandat qui auront lieu le 8 novembre, en soulignant que « la guerre va au-delà de l’Ukraine ». Il s’agit de la première reconnaissance explicite que la guerre en cours en Ukraine est une guerre par procuration liée à la défense de l’unilatéralisme et de l’hégémonie des États-Unis sur le monde.
Alors qu’il faisait campagne en Pennsylvanie pour obtenir du soutien en faveur de son parti démocrate lors des prochaines élections au Congrès, Joe Biden a déclaré ceci : « Ils ont dit (les républicains) que s’ils gagnaient, il est peu probable qu’ils financent, qu’ils continuent de financer l’Ukraine. Ces gens ne comprennent pas. Cela dépasse largement l’Ukraine. C’est l’Europe de l’Est. C’est l’OTAN. Cela aurait des conséquences vraiment graves. Ils n’ont aucun sens de la politique étrangère américaine. »
Après l’annonce par le Pentagone d’une aide militaire supplémentaire de 1,1 milliard de dollars à l’Ukraine, ce qui porte le total du soutien militaire américain à près de 17 milliards de dollars depuis l’entrée en fonction de l’administration Biden (celui de l’UE s’élève à 19 milliards d’euros), les républicains américains ont réagi. Le leader républicain Kevin McCarthy a déclaré que « si (mon) parti obtient les gains prévus aux élections de mi-mandat, il n’y aura pas de chèque en blanc pour l’Ukraine ». McCarthy deviendra très probablement le président de la Chambre des représentants des USA si son parti gagne le mois prochain.
Pour la première fois, les États-Unis reconnaissent que la guerre en Ukraine a tout à voir avec l’influence américaine en Europe de l’Est et la présence et le leadership des USA au sein de l’OTAN. Il s’agit en effet pour eux de reprendre le contrôle en réponse à la contre position des dirigeants européens (exprimée par le président français Emmanuel Macron) qui marquait leur intention de quitter l’Alliance de l’Atlantique Nord. Macron avait déclaré que l’OTAN était « en état de mort cérébrale » et qu’il fallait à l’Europe une « véritable armée européenne pour se protéger vis-à-vis de la Chine, de la Russie et même des États-Unis, pour être moins dépendante de la puissance américaine ».
Selon Biden, le soutien sans précédent de l’Occident à l’Ukraine dans le domaine militaire et du renseignement n’a aucun rapport avec la défense d’un pays que l’Europe accuse depuis longtemps d’être l’un des plus corrompus du monde. Le coup d’État organisé par les États-Unis (avec l’aide de l’Europe) contre le président élu ukrainien Viktor Ianoukovitch en 2014 lors de la « révolution de Maïdan » est à l’origine de l’occupation russe de la Crimée. L’Occident se préparait à affronter la Russie tôt ou tard et avait commencé à bâtir une armée ukrainienne robuste et prête à combattre dès 2015 sur l’ordre du président Barack Obama.
Cela indique que l’Occident savait que Moscou ne mettrait pas en péril sa sécurité nationale. L’évaluation américaine indiquait que l’armée russe n’avait pas la capacité militaire de tenir tête à tous les pays de l’OTAN dans une guerre classique, à moins que le président Poutine n’utilise la tactique militaire soviétique habituelle de la terre brûlée avant d’engager son armée. Le président russe n’a pas eu recours à la tactique soviétique, car il croyait que l’Ukraine ne résisterait pas et opterait pour la négociation diplomatique, en déclarant sa neutralité et en mettant fin au bombardement du Donbass qui a coûté la vie à quelque 13 000 à 14 000 Ukrainiens russophones.
Il valait donc la peine pour les États-Unis d’essayer de bousculer la Russie sans que Poutine ne s’engage pas dans un combat acharné. L’Occident croyait que son généreux soutien militaire et financier à l’Ukraine aiderait l’armée à se battre contre la Russie, tant que les dirigeants ukrainiens étaient prêts à sacrifier leur pays. Cela comprenait également un incitatif, à savoir que l’Occident, avec l’influence des États-Unis, promettait de prendre l’Ukraine sous son aile et d’intégrer Kiev aux 27 pays membres de l’UE.
L’Occident n’a toutefois pas prévu comment la Russie réagirait à la réduction de ses livraisons d’énergie, l’une de ses principales sources de revenus, ni le fait que les deux tiers du monde n’accommoderaient pas Washington dans ses sanctions contre Moscou. Les pays occidentaux croyaient que la Russie ne couperait pas le pétrole, qui apporte des revenus substantiels et contribue largement au total des exportations russes qui rapportent environ 490 milliards de dollars par an. Le conflit en cours tourne autour de la question de savoir si les États-Unis peuvent vaincre la Russie pour que le monde soit témoin de leur puissance illimitée et prévenir toute contestation future de leur domination et de ce qu’ils représentent.
Cette guerre par procuration devient inconfortable pour le président Biden, qui connaît les intentions des républicains de réduire le soutien à l’Ukraine. Cela signifie que l’administration américaine dispose de deux ans pour gagner la guerre en Ukraine ou parvenir à un accord avec la Russie et accepter le fait accompli si Moscou maintient sa position et conserve le contrôle des provinces et des villes récemment annexées.
Mais si l’administration Biden gagne la guerre, la chute du président Vladimir Poutine serait hautement probable et entraînerait son retrait de l’arène internationale. Pour ce faire, il faudrait livrer encore plus d’armes à Kiev, faire intervenir les forces de l’OTAN sur le champ de bataille pour soutenir les fronts ukrainiens et poursuivre le soutien financier occidental à des dizaines de millions d’Ukrainiens.
Les experts militaires croient que le président Poutine voulait se retirer de la bataille après l’annonce du référendum sur l’annexion du Donbass, de Kherson et de Zaporijjia à la Russie. Cependant, le succès des forces ukrainiennes à Kharkiv dans le nord, puis l’attaque dans le sud à Kherson, dans le but de couper la route entre les provinces protégées par la Russie et la Crimée, ont empêché la Russie de tirer profit de ses victoires et de mettre fin à la guerre.
Les experts militaires considèrent que les performances de l’armée russe au cours des trois premiers mois de la guerre ont amené les chefs militaires de l’OTAN à conclure qu’ils pouvaient faire passer l’armée ukrainienne d’une position défensive à une position offensive. La longueur du front (1000 km) et le petit nombre d’attaquants russes ont permis aux forces ukrainiennes d’avancer et de remporter des victoires tactiques qui ont encouragé les pays européens à continuer de fournir de l’équipement et un soutien militaires à l’Ukraine aussi longtemps que possible.
Il est important de mentionner que la Russie a maille à partir avec une quarantaine de pays, dont les États-Unis, qui fournissent à l’Ukraine des armes, de la formation, des renseignements de sécurité et une planification militaire depuis la base aérienne militaire de Ramstein en Allemagne. La nouvelle direction militaire russe semble avoir changé de tactique en défendant les territoires conquis et en tenant le terrain afin d’infliger davantage de pertes aux attaquants et de drainer les ressources occidentales. Le Kremlin attend que davantage de forces recrutées rejoignent la ligne de défense et se dressent contre la neuvième vague de mobilisation ukrainienne.
Supposons que la bataille s’intensifie dans les mois d’hiver. L’économie et l’industrie européennes pourraient alors être gravement déstabilisées en raison de la hausse du niveau de vie et de l’inflation galopante, qui frappent un continent à la recherche de sources d’énergie. Les États-Unis souhaitaient une sanction collective de l’Occident contre la Russie, mais n’ont pas prévu la fragilité de l’économie européenne ni sa vulnérabilité.
La Commission européenne veut absolument (mais en vain) établir des règles pour le partage du gaz entre les pays membres et plafonner le prix de l’énergie. La Russie a frappé plus de 40 % des centrales électriques ukrainiennes, empêchant ainsi Kiev d’approvisionner l’Europe en électricité, comme l’avait promis le président Volodymyr Zelenski il y a quelques mois. La division semble pourtant prévaloir après la réunion des chefs d’État de l’UE tenue à Bruxelles la semaine dernière. Ces deux jours de discussions ont donné peu de résultats, si ce n’est d’organiser l’entraînement de 15 000 Ukrainiens en Europe, pour que la guerre puisse se poursuivre aussi longtemps que possible.
La réunion des dirigeants des nations de l’UE à Bruxelles n’a pas réussi à ramener le calme dans la population et les marchés européens qui s’agitent. Cela est dû aux différentes priorités des dirigeants, aux prix élevés de l’énergie, qui affectent avant toute chose les prix des produits de première nécessité, et au faible flux de gaz russe bon marché vers l’Europe après les sanctions et le sabotage de Nord Stream 1. Le sabotage du gazoduc russo-européen représente une « formidable opportunité » pour les États-Unis qui pourraient devenir le premier fournisseur de gaz de l’Europe, comme l’a annoncé le secrétaire d’État américain Antony Blinken lors de sa rencontre avec la ministre canadienne des Affaires étrangères Mélanie Joly.
L’Allemagne, la Hongrie et d’autres pays refusent de plafonner le prix de l’énergie, par crainte que les fournisseurs d’énergie (Norvège, États-Unis, Algérie, Azerbaïdjan et Russie) s’abstiennent de livrer leur gaz au vieux continent.
L’Allemagne et la France ont déjà exprimé leur insatisfaction aux « amis » de l’UE (États-Unis et Norvège) qui vendent leur gaz à l’Europe à prix fort. Cette crise européenne se déplace d’un sommet à l’autre, au cours desquels les dirigeants des 27 pays membres de l’UE ne parviennent pas à trouver une solution. La pression populaire monte en Italie, en France, en Allemagne, à Bruxelles et dans d’autres pays contre le coût de la vie et la dévaluation de l’euro. Les représentants des employeurs et des sociétés industrielles européennes ont présenté une nouvelle réalité douloureuse, à savoir que 35 millions de citoyens européens pourraient perdre leur emploi.
Des sociétés et les institutions européennes pourraient migrer à l’extérieur de l’Union européenne à la recherche d’une énergie bon marché. Cela aura de graves conséquences pour l’industrie et le commerce européens et entraînera de graves perturbations sur la sécurité, l’économie et les conditions de vie. L’inflation frappe non seulement les pauvres, mais aussi la classe moyenne, car la sécurité alimentaire menace sérieusement la population. Tout le monde semble lutter pour survivre et se réchauffer à l’approche de l’hiver.
Le dirigeant britannique de Shell, Ben Van Beurden, a déclaré que « l’Europe est confrontée à une rationalisation industrielle douloureuse en raison de sa crise énergétique qui risque d’entraîner des troubles politiques… Aller de l’avant à cette échelle, de manière aussi abrupte, à une période de troubles économiques en général, va exercer selon moi une certaine pression sur les économies européennes et peut-être aussi beaucoup de pression sur le système politique. L’industrie européenne subit de plein fouet les conséquences de la crise énergétique ».
Il n’y a pas de réponses et de solutions immédiates à la guerre, à la crise économique suscitée par les mesures de gestion de la COVID-19 (les pays de l’UE ont consacré 1,7 billion d’euros à un programme de soutien en réponse à la pandémie) et à l’intensification des sanctions occidentales contre la Russie. Même lorsque les dirigeants des pays européens s’empressent d’emprunter des centaines de milliards d’euros pour atténuer la colère de la population sur une courte période, la solution au problème de l’inflation croissante n’est manifestement pas à portée de main.
Les pays ne peuvent pas maintenir leurs subventions encore longtemps, sans quoi la monnaie risque de perdre sa valeur intrinsèque et l’inflation s’emballer pour atteindre des niveaux records. Cette dernière cause des désastres économiques et une stagnation que tout le monde redoute. Le chancelier allemand Olaf Scholz a annoncé que son gouvernement dépenserait jusqu’à 200 milliards d’euros pour aider les consommateurs et les entreprises à faire face à la hausse des prix de l’énergie et pour revitaliser le Fonds de stabilité économique, en promettant de « faire tout ce qui est en mon pouvoir » pour faire baisser les coûts. Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, a déclaré que son gouvernement dépenserait 100 milliards d’euros sur trois ans pour aider la population à contrer la hausse de l’inflation. La dette extérieure de l’Italie a atteint 2,47 billions d’euros, et le pays doit refinancer une charge d’emprunt d’environ 150 % du produit intérieur brut.
Nonobstant les dommages économiques causés à ses partenaires d’Europe occidentale, l’administration Biden ne peut pas stopper une guerre à son apogée, parce que les pertes seront plus lourdes. Si la guerre se termine prochainement sans affaiblir la Russie, Washington perdra le contrôle de l’Europe. Dans ce cas, les doutes de l’Europe occidentale sur la continuité et la raison d’être de l’OTAN réapparaîtront. Par conséquent, la férocité de la bataille, qui entraîne dans son sillage la hausse des prix des matières premières, devrait augmenter dans les mois à venir de façon à briser ou à affaiblir la Russie avant la fin du mandat du président américain, dans la mesure du possible.
En résumé, il s’agit d’une course contre la montre, mais la victoire reviendra aux plus patients des belligérants. Certaines questions se posent : Poutine peut-il maintenir son contrôle sur le pays et accélérer le rythme de la guerre pour gagner contre l’OTAN en Ukraine? Les Européens se soulèveront-ils bientôt contre leurs dirigeants, ce qui les obligera à cesser de soutenir la guerre? Les États-Unis vont-ils pousser de toutes leurs forces pour percer tous les fronts de bataille, sans tenir compte des pertes ukrainiennes qui augmentent en flèche, afin de mettre fin au conflit avant que les alliés occidentaux ne s’effondrent? Cette lutte semble s’être grandement compliquée. Elle n’en demeure pas moins une course contre la montre pour tous les belligérants et leurs partisans.
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