Le Tchad et le Sénégal s’allient pour expulser la France du Sahel
La France et les États-Unis devraient appliquer une politique de riposte sur trois fronts.
Jeudi a été une journée historique pour la géopolitique africaine puisque le Tchad a annoncé qu’il expulsait les troupes françaises tandis que le Sénégal a déclaré qu’il prévoyait de faire de même dans un avenir proche. Il s’agit des derniers postes militaires de la France au Sahel après son expulsion du Burkina Faso, du Mali et du Niger, qui forment aujourd’hui l’Alliance sahélienne, laquelle est également en train de fusionner en une Confédération. La conséquence immédiate est que l’influence russe augmentera probablement, tandis que la France devrait faire de la Côte d’Ivoire sa principale base régionale.
Ces tendances s’inscrivent dans le cadre plus large d’une Afrique qui devient un théâtre de compétition dans la nouvelle guerre froide. L’Occident veut conserver son hégémonie unipolaire en déclin, tandis que la Russie et la Chine sont à la tête des efforts déployés par les pays non occidentaux pour accélérer les processus multipolaires dans cette région. La première se manifeste par des coups d’État, des révolutions de couleur et des insurrections (collectivement connus sous le nom de guerre hybride), tandis que la seconde prend la forme d’une aide de la Russie à ses partenaires pour contrer ces menaces, tandis que la Chine fournit une aide économique sans conditions.
Les derniers développements confirment que l’arrière-pays africain est le bastion de la multipolarité du continent, tandis que la périphérie côtière sert à la fois de point d’entrée et de redoute pour l’unipolarité, ce qui reflète la dynamique de l’Eurasie. Cette situation conforte la théorie du professeur Alexandre Douguine sur la rivalité historique entre les puissances terrestres et les puissances maritimes. Dans le contexte africain, les puissances terrestres de l’Eurasie aident leurs partenaires de l’arrière-pays à se libérer de l’influence des puissances maritimes de l’Eurasie.
Ces mêmes puissances maritimes, en l’occurrence la France (qui a historiquement une double identité mer-terre) et les États-Unis, se replient à présent sur la Côte d’Ivoire, alignée sur la mer, après avoir été expulsée du Sahel. Cela renforcera la pression sur le Nigeria, une puissance terrestre africaine qui entretient depuis longtemps des liens étroits avec les puissances maritimes occidentales telles que le Royaume-Uni et les États-Unis. Ces éléments ont été pleinement mis en évidence lors de la débâcle de l’été 2023, soutenue par l’Occident, qui a fait pression en vain sur le Niger pour qu’il réinstalle son dirigeant évincé et qui a menacé de l’envahir.
L’incapacité à récolter des dividendes tangibles de cette politique inutilement agressive a conduit à une grande refonte stratégique qui a abouti à ce que le Nigeria devienne un partenaire officiel des BRICS après le sommet d’octobre. Il s’agit d’une étape positive, mais rien n’a encore été fait pour résoudre la corruption infâme du pays ni sa série apparemment insoluble de conflits ethno-religieux-régionaux de longue durée, qui peuvent tous deux être exacerbés de l’extérieur par l’Occident pour manipuler sa politique étrangère ou le punir en cas d’échec de cette approche.
C’est une chose pour l’Occident de perdre sa position géostratégique au Sahel, qui comprend certains des pays les plus pauvres du monde (le Sénégal est de loin le pays le plus riche, mais il y a encore beaucoup de pauvreté), et c’en est une autre de perdre le Nigeria, qui possède d’énormes réserves d’énergie et qui est le pays le plus peuplé d’Afrique. Le repli post-sahélien de la France et des États-Unis en Côte d’Ivoire n’est utile que dans la mesure où il fournit une base à partir de laquelle déstabiliser l’Alliance/Confédération sahélienne, mais il est inutile vis-à-vis du Nigeria.
Les observateurs peuvent donc s’attendre à ce que l’Occident aux ordres des États-Unis et de la France applique une politique à trois volets pour repousser les dernières réalisations multipolaires : 1) plus de guerre hybride contre l’Alliance/Confédération sahélienne ; 2) plus de contacts avec le Nigeria ; et 3) une guerre hybride contre lui aussi en cas d’échec. La Côte d’Ivoire jouera un rôle central dans le premier aspect ; le deuxième prendra des formes diplomatiques et économiques ; tandis que le troisième peut se manifester par un soutien secret (notamment militaire) aux groupes armés existants.
Il ne s’agit pas de suggérer le succès de cette politique prédite, mais simplement de dire qu’une partie ou la totalité de cette séquence se déroulera probablement en raison des frictions entre les intérêts occidentaux/non occidentaux et unipolaires/multipolaires en Afrique, qui ont été aggravées par le dernier coup militaire de la France dans le Sahel. Il se peut que les États-Unis et la France aient encore besoin de temps pour élaborer un plan sur la manière la plus efficace de répondre à tout, mais personne ne devrait douter qu’ils feront quelque chose, et quoi que ce soit, cela visera à restaurer leur hégémonie perdue.
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